Jacques Bouchut : mes livres
Le livre numérique : C'est un nouveau support avec des possibilités extraordinaires ! On n'en est qu'aux premiers balbutiements... Si j'étais jeune, je me passionnerais pour ça. Je voudrais que les livres numériques deviennent une forme de livres d'artistes complètement nouvelle.
Michel Butor, dans Télérama 3296 (16-22 mars 2013)
Voici quelques courts extraits de mes livres :
Flocons de songe, lumineux - poésie méditative
Quand je regarde les feuilles des arbres
au-dessus de moi
la vie millénaire sur Terre
je vois
souffle du vent dans les feuilles
l'eau des océans
l'eau des mers et des rivières
dans la Bulle où je vis sur Terre
l'air je respire
et l'eau je bois.
Flocons de songe, lumineux - poésie méditative, juin 2024
Kévin à Pompéi, le jour où le Vésuve se réveilla
Silence.
La minuscule cuisine était éclairée par la flamme d'une lampe à huile posée sur la cuisinière. À cette heure, au début de la onzième heure de la nuit, environ 4 h 30 du matin, la cuisinière n'était qu'une surface vide.
Plus tard, le plan de travail maçonné se remplirait des braises achetées chez le boulanger et se couvrirait de marmites en bronze.
Pour l'instant, un jeune esclave, en tunique de lin à manches courtes, s'activait à battre une sauce dans un bol en terre cuite, à l'aide d'un rameau de myrte. Dans la pénombre de la pièce, seul son visage, éclairé par la lumière vacillante de la lampe, sortait vraiment de l'obscurité.
C'était un visage orange frappé de stupeur.
Mais peut-être ce garçon était-il encore endormi.
Ou complètement idiot.
Il marmonait une recette en latin : piper, puleium, mel, liquamen et acetum (poivre, menthe, miel, garum et vinaigre).
Quand il eut fini de battre la sauce, il posa le bol et poussa un gros soupir. Puis, il éplucha un concombre, le coupa rapidement en rondelles qu'il disposa dans un plat en argent. Enfin, il arrosa copieusement de sauce les rondelles de concombre. Sans savoir pourquoi, il soupira de nouveau et regarda autour de lui.
Une ombre attendait à l'entrée de la cuisine. Elle s'avança et dit en latin :
- Adsum (Je suis ici). T'es nouveau, toi, comment tu t'appelles ?
Kévin à Pompéi, livre pour enfants, JMJ Balder, lèbe décembre 2020 (ebook juin 2013).
Kévin et Audrey en Avignon, à l'époque des papes et de la peste
Au moment où elle se retournait, une lingère entra, qui la salua chaleureusement en Provençal :
- Ah, c’est toi, Imelda.
- Bonjour Margot.
Margot posa sa pile de linge sur un coffre et sauta au cou de son amie.
- Alors tu vas te marier, à ce qu’on dit ? Tu as de la chance !
- Sûrement pas, il n’en est pas question. Je suis bien trop jeune.
- Trop jeune, tu veux rire.
- D’abord, j’ai mon compagnon qui…
- Tu as un compagnon, toi ? Comment il s’appelle.
Évidemment, Imelda était confuse : pourquoi avait-elle dit cela ? Un compagnon, quel compagnon ? Elle bredouilla :
- C’est un secret.
Naturellement Margot éclata de rire et continua à taquiner son amie jusqu’à ce qu’Imelda dise une chose encore plus surprenante :
- Kévin, il s’appelle Kévin, je me rappelle bien maintenant.
- Tu t’en souviens ! se moqua-t-elle.
Margot partit d’un fou rire interminable. Elle avait les larmes aux yeux. Elle insista :
- Tu te souviens du nom de ton compagnon ?
Kévin et Audrey en Avignon, livre pour enfants, JMJ Balder, décembre 2020.
Recueil de poèmes de Janine Bouchut
Les ombres de l'absence - recueil de poèmes
Une cour d'école le jour de la rentrée. Vide. Devant la porte, l'institutrice. Elle regarde le vide, puis la feuille de papier devant son nez, puis, baissant la main, elle regarde à nouveau le vide. Finalement elle se décide à lire sa liste. Entre chaque nom, une pause, un regard perplexe vers la cour. Ce regard ne voit rien, il dit seulement : Mais où sont passés mes élèves ? Puis : N'est-ce pas la rentrée aujourd'hui ? Puis : Je suis folle.
...
La vie passe, je monte, je descends et je ne sais toujours pas où m'emportent ces Trains du soir. Quand je regarde par la fenêtre, la cour d'école est déserte : tous les enfants ont disparu depuis longtemps.
Les ombres de l'absence - recueil de poèmes, juin 2020
Effondrement - poésie désenchantée
Hautes pressions capitalistes tic
dépression atmosphérique
serveurs clouds en turbulence
nuages obscurs en abondance
température caniculaire
baisse d'énergie nucléaire
le vent souffle en rafales
tempête sociale et familiale
état de catastrophe libérale.
Climat climat climatique
climat tic tac tic
le climat tique-taque
et on s'en claque
Effondrement - poésie désenchantée, juin 2020
Vagabondage écolo
Elle regarde encore la grande prairie fleurie, les oiseaux, les papillons. C’est l’été, on entend la musique des grillons, le bourdonnement des abeilles sur les fleurs et d’autres insectes.
Et puis, elle regarde la mer avec Vagabel.
Il lui montre quelque chose, mais elle ne voit rien, que la mer et le ciel.
Maintenant elle nage avec les poissons dans la mer.
Maintenant elle vole avec les oiseaux de mer, éclaboussée par les vagues. Elle entend le chant de la mer et des oiseaux de mer.
Dans le temps du rêve, tout est possible. On passe d’une chose à l’autre si facilement. Dans le temps du rêve tout est normal, rien ne semble étrange, bizarre, étonnant, impossible. Ce mot, impossible, n’existe pas dans le temps du rêve.
Vagabondage écolo, conte pour enfants, août 2019.
Tout ça c'est du cinéma
Si je vous parle de Nagiko et Damiel, c'est uniquement à cause de leur fils Travis, le père de Tom, mon cousin américain.
Nagiko était une fille bizarre qui s'était fait tatouer des poèmes sur tout le corps, sous prétexte qu'elle avait épousé un ange. "Déloge l'homme en lui", disait-elle. Un ange, rien que ça. Un extraterrestre, à la rigueur on aurait compris. Quelle famille que la mienne (et je n'ai pas encore évoqué leur fils).
À ce qu'il paraît, Damiel, fou de désir, avait donné ses ailes à Emmaüs pour devenir homme et épouser Nagiko. "Un homme change. Parfait mélange", chantait-elle sur une musique céleste, tandis que Damiel avait les larmes aux yeux devant la beauté sublime de Nagiko, une femme qui surpassait, disait-il, tous les anges du ciel et de l'enfer.
Mais Nagiko était loin d'être un ange et un jour, folle de rage d'avoir été flouée par son éditeur, elle fit appel à Jules et Vincent Tarentino, 2 frères complètement à la masse, pour truicider une dizaine d'hommes, qu'elle transforma en livres de peau de chagrin.
Tout ça c'est du cinéma, avril 2019.
À la recherche des oiseaux disparus
Je marchais depuis un moment, pataugeant dans une eau peu profonde. J’avançais difficilement en regardant où je mettais les pieds. Le bruit d’un souffle puissant me fit relever la tête. Je vis un buffle qui me dit :
- Beau temps, pas vrai ?
Je me demandais ce que pouvait être un mauvais temps par ici. La mousson, peut-être, avec ses vents violents et ses fortes pluies.
Le buffle me surprit en disant :
- Si tu cherches les oiseaux disparus, il vaudrait mieux aller du côté de la montagne.
Évidemment, je n’avais aucune idée du chemin à suivre pour aller du côté de la montagne.
À la recherche des oiseaux disparus, conte pour enfants et pour adultes, février 2019.
La longue histoire de Manman Doudou
Quand Manman Doudou se réveilla, toujours enfermée dans le Flacon aux poissons, elle entendit le bruit des vagues. Puis elle sentit que le Flacon aux poissons était ballotté de-ci de-là, comme un petit bateau au milieu de l’océan.
- Y a quelqu’un par ici ? demanda-t-elle à tout hasard.
Sa voix sortait amplifiée par l’ouverture du flacon et personne ne pouvait se douter qu’il y avait quelqu’un à l’intérieur, parce qu’il semblait que le flacon parlait. Et le flacon parlait avec une voix de bouteille.
Comme par hasard, un requin passa par là, juste au moment où Manman Doudou avait demandé s’il y avait quelqu’un par ici.
- Oui, répondit le requin, il y a moi et j’ai très faim. Est-ce que tu es bonne à manger ?
Trompé par la voix de bouteille, le requin croyait que le Flacon aux poissons, qui flottait à la surface de l’océan, était une flacon, un flacon fille. Et que la flacon lui parlait avec une voix de bouteille. Et tous ces beaux dessins colorés de poissons sur le flacon avaient mis le requin en appétit.
La longue histoire de Manman Doudou, conte pour enfants et pour adultes, mai 2018.
Quand je marche dans le jardin
Et voici que je me réveille d'un cauchemar. Brume de mare de cauche, j'ai le coeur qui bat. Mais le temps de me réveiller, il me vient à l'esprit que ce ne sont ni des façons d'éveillé, ni des façons d'endormi. Ce cauchemar n'en est pas un. Plongé dans ce conte à dormir debout, je ne dormais pas. Pas du tout.
L'esprit clair à présent que je suis sorti momentanément de ces divagations délicieuses, je peux affirmer ceci : quand je vagabonde en compagnie des personnages qui se présentent à mon esprit endormi, c'est comme si je passais par magie d'un livre à l'autre, sautant de façon inattendue d'un roman à une pièce de théâtre, puis à un autre roman. Ces personnages un peu familiers, un peu étrangers, je les vois, je les entends, je plonge avec délices dans leurs aventures en miettes.
En fait, quand j'y pense, je trouve cela un peu bizarre, alors que dans cet espèce de demi-sommeil, dans cette torpeur agréable, cette langueur à flotter entre le jour et la nuit, le rêve et la conscience, je trouve cela parfaitement naturel.
Quand je marche dans le jardin, septembre 2017.
Alfrèdo Cortex et la croix d'Agadez
Au-dessus de la plage et de l'océan, des milans noirs décrivaient de grands cercles en lançant leur sifflement trembloté caractéristique. Les vagues déferlaient sur le rivage désert avec un chuintement de petits galets roulés. En compagnie de Mamadou, Alfrèdo et Mélodie marchaient tranquillement sur le sable en direction du wharf.
Mamadou s'était débrouillé pour leur trouver, dans sa grande famille africaine, des vêtements légers beaucoup mieux adaptés au climat que pantalons chauds, chemises et pulls en laine.
De bonne heure le matin (7 h), le lendemain de leur arrivée, il faisait encore bon (24 degrés) et tout juste jour, Mamadou avait décidé qu'il fallait se lever pour aller voir le marché et le grand wharf, ces vieux embarcadères datant de la colonisation.
Alfrèdo Cortex et la croix d'Agadez, livre pour enfants, janvier 2014 / novembre 2016.
Déclaration trinitaire humanitaire
Sophie s'insurge contre la brutalité de nos sociétés. A partir d'exemples concrets, elle interroge la réalité, l'idée que chacun peut s'en faire, l'humanisme. Elle s'étonne, se révolte, ironise et donne son point de vue de mère et d'institutrice sur la société actuelle.
Si j’étais Blaireau Noir ou Lapin Blanc, tout en restant moi-même, je dirais peut-être : "Sur mon territoire, il y a une emmerdeuse pas croyable !" Moi. Moi quand j’étais moi avant de devenir blaireau.
En effet, l’hiver dernier, un matin j’ai découvert avec stupeur un chantier pas possible sous mes pruniers sauvages : la terre avait été retournée, une jolie terre noire légère, explosée. Au fond de chaque trou gisait un arum sauvage, dont le bulbe avait été sauvagement décapité et mangé. Furieuse, je pars en chasse le long de la clôture et trouve rapidement un passage qui me laisse perplexe : trop petit pour un sanglier. Alors je me dis : C’est un petit sanglier. Et j’ai longtemps cru que le coupable était une mère sanglier encourageant son petit : Allez mon fils, va bouffer de l’autre côté de la clôture.
Jusqu’au soir où j’ai vu, sur le chemin à l’extérieur de la propriété, un magnifique blaireau. Alors là, j’ai tout compris : le coupable, c’était lui ! Les arums le blaireau, c’est bien plus logique. Mon petit salaud ! Mais en tant que grande lectrice de La Hulotte (n°44 Malfaisants et nuisibles), revue écolo avant l’heure, pour moi le blaireau c’est bien (sous-entendu, même si ce n’est pas dit dans La Hulotte, le sanglier c’est pas bien). Alors, de Ce petit salaud, c’est lui qui a fait tous ces dégâts, je passe à Blaireau Noir dans le champ d’arums : "Mmm, les délicieux arums que voilà". Et plus tard, Blaireau Noir de l’autre côté de la clôture : "Quelle emmerdeuse, celle-là. En plus, elle n’en a rien à foutre de tous ces bons arums".
D’où, l’emmerdeuse c’est moi. Parce que j’ai bouché tous les passages, l’un après l’autre, jusqu’à ce que, sangliers, blaireaux, lapins, renards, je ne veux pas le savoir, on-ne-pa-sse-plus ! Sur mon territoire, il y a ma propriété et ailleurs. Débrouillez-vous avec ailleurs, les bois, les prés et tout ce que vous voulez.
Voilà comment on se fait des idées justes et des idées fausses, des idées. A part, moi, quelques pruniers, quelques arums, Blaireau Noir que j’ai vu filer, le chemin, la clôture, seules réalités, tout le reste ce ne sont que des idées. Les idées qui me sont venues après avoir constaté un fait : les dégâts sous les pruniers.
Déclaration trinitaire humanitaire, août 2016.
A votre santé pour l'éternité
Dans une radio fantaisiste, Blousie au studio lance un sujet et diffuse les interviews improbables de sa correspondante Siboule. Les 4 centrales nucléaires de Rhône-Alpes sont en feu. Il s'en suit une légère perturbation dans la vallée du Rhône, puis en France et en Europe. Protestation anti-nucléaire à l'humour très noir.
Eboulis nuit, fréquence phare, bonsoir.
A la suite d’un incident mineur survenu lundi à la centrale nucléaire de St Alban, le ministre de la solidarité active recommande à toutes les populations concernées, de s’éloigner de la région. Notre correspondante sur place : Siboule vous m’entendez ?
- Oui Blousie, ici c’est de la folie ! Par précaution, les habitants de la région de Mâcon iront au Japon en avion (Low cost à partir de Londres). L’agglomération lyonnaise n’est pas touchée grâce à un épais brouillard de pollution. Cependant Météo France prévoit que le vent du Sud cessera mardi, faisant place au Mistral qui poussera des fumées radioactives en direction de Marseille. En conséquence, le Jazz à Vienne aura lieu exceptionnellement mardi à Montreux et mercredi à Juan-les-pins, ou l’inverse. Jeudi les habitants de la région de Valence France iront en Espagne où ils seront bien accueillis. Vendredi, les habitants de la région d’Orange et Avignon seront délocalisés dans le calme vers l’Afrique du Sud et vers San Francisco (il y a un pont). Samedi cependant, la population grenobloise pourra envisager d’aller dans le Périgord (il y a des noix), en évitant bien sûr la Vallée du Rhône. A partir de dimanche, bien qu’habitués aux charcuteries fumées, les Savoyards mangeront, à titre préventif (et provisoire), des huîtres de Marennes Oléron à la place du reblochon. A vous le studio, je ne reste pas une minute de plus ici, vous m’entendez ?
A votre santé pour l'éternité, août 2016.
Instantanés
Cette fiction fragmentaire offre peut-être une vision d'une famille à travers quelques scènes de la vie ordinaire : construction d'une mare, des enfants qui jouent, un garçon en vacances chez ses grands-parents, deux adolescents qui sont peut-être amoureux, une jeune-femme en entretien d'embauche, un couple...
Majee enjamba le grillage et s'accroupit sur la dalle aux formes arrondies, qui surplombait légèrement la mare en face de la cascade. Elle resta un moment immobile, le soleil du matin sur la nuque et le dos. Elle tenta de percer les mystères d'une eau couleur de prune. Un vert et jaune laiteux de chair de prune. Évidemment, on ne voyait rien au-delà de quelques centimètres de profondeur.
Décevant.
De temps à autre, une bulle venait crever la surface de l'eau, de-ci de-là, et provoquait une ondulation circulaire qui s'élargissait rapidement avant de disparaître, absorbée par la masse inerte de la mare.
Soudain, une bestiole à la carapace brune bordée d'orange émergea des profondeurs, sembla reprendre son souffle quelques instants et replongea. Le coléoptère ovale et sombre disparut, propulsé par 3 ou 4 mouvements de rames, de ses puissantes pattes arrière effrangées de soies.
Un monstre marin venu des grands fonds.
Instantanés, juillet 2016.
Brunon
(Extrait 1e partie) Il arrive un jour où l'on se dit : Je ne vais pas garder toute ma vie mon ours en peluche. Même si c'était, et quelque part ça reste, un personnage important de votre vie d'enfant, il arrive un jour où vous vous dites que votre Nounours pourrait faire plaisir à quelqu'un d'autre, au lieu de traîner là comme un malheureux, assis sur ce coussin ou pire encore relégué dans un coin de votre chambre d'adulte. Et je n'envisage même pas que vous l'ayez tout simplement mis au grenier, enfermé dans une malle aux souvenirs. Jeté à la poubelle ? Non quand même pas. Votre Nounours, non.
(Extrait 2e partie) Lorsque notre ours se réveilla la lune éclairait la forêt endormie. C'était le bon moment pour grimper dans la vallée d'Entrevernes sans rencontrer les hommes qui montaient à la mine. Il s'engagea sur une piste escarpée qu'il connaissait bien, évita les fermes tapies sous leur toit de chaume et prit le sentier abrupt qui montait au col de la Cochette. Lorsqu'il parvint au sommet, la lune au zénith faisait miroiter au loin le lac dont l'odeur fade remontait jusqu'à ses narines. Autour de la nappe argentée, les montagnes semblaient les tours et les murailles crénelées d'un château fantastique. Doté d'une vue médiocre Brunon voyait mal l'immense paysage qui se déroulait au loin, mais il le devinait, le sentait. A ses pieds la forêt dévalait rapidement vers les champs cultivés et les hameaux.
Brunon, avec Janine Bouchut, septembre 2013 / juillet 2016.
Almandine
Alfrèdo découvre qu'un vase ancien a disparu d'un musée. Alors que sa copine Mélodie est partie aux Etats-Unis, il se rapproche d'Almandine. Entre son travail de compositeur et les répétitions de son orchestre, il trouve néanmoins le temps d'une folle recherche sur Internet à la poursuite du trésor disparu. D'Annecy en Suisse, de Chicago en Roumanie. Jusqu'à découvrir une réalité beaucoup plus sombre.
Le vase était bien plus intéressant à ses yeux que tout le reste, avec ses 24 pierres précieuses bleues serties dans l’or du vase. Il aurait aimé savoir si c’étaient bien des pierres de lune, vendues sous le nom d’opale de Ceylan, mais il n’osa pas déranger Mamy qui discutait avec le gardien. Alors, Alfrèdo refit un tour en prenant quelques notes sur son ordinateur qu’il avait sorti de son sac à dos. Il compara au passage les pierres de lune bleues avec les almandines, ces pierres précieuses de couleur rouge brunâtre, du groupe des grenats.
Sur le chemin du retour, Mamy était préoccupée et plutôt distraite. En quittant le musée, elle avait repris le boulevard Helvétique à doubles voies, séparées par une allée de platanes, puis elle s’était égarée dans la vieille ville, faisant deux fois le même parcours dont il semblait impossible de sortir, à vrai dire, tellement il y avait de sens interdits. Elle s’était faufilée en évitant tant bien que mal les rails des trolleybus et les voies spéciales des bus et, à présent, semblait savoir où elle allait en suivant un itinéraire compliqué à travers Plainpalais, puis Carouge. Pourtant Alfrèdo s’écria soudain :
- Attention Mamy, tu prends l’autoroute de Lausanne !
Mamy avait eu à peine le temps de bifurquer pour s’engager sur la bonne bretelle, en direction d’Annecy.
- C’est quand même bizarre, je n’arrive pas à me rappeler ce qui manque. Le gardien a raison pour les boucles, mais pourtant à St Maurice j’avais bien vu autre chose.
- Le vase de St Martin ? demanda Alfrèdo.
Almandine, mai 2016.
Petites flammes tremblotantes d’un feu d’automne
Il est commercial d'une entreprise de surgelés, son patron l'envoie au Japon. Elle tient une agence de voyage et part en ski de fond dans le Grand Nord canadien. Finiront-ils par se rencontrer ?
À présent, celui-ci installe devant eux un petit tapis sur lequel il dispose au fur et à mesure de ses allées et venues dans la pièce, différents pinceaux, de l’encre de chine dans une coupe, des règles métalliques. Puis, il étale sur sa droite, entre le tapis et ses deux visiteurs, un stock de feuilles très fines en papier de riz, d’environ 70 par 130 centimètres. Enfin, il prend une feuille qu’il place dans la longueur du tapis et qu’il fixe avec deux règles massives, une en haut et une en bas de la feuille.
L’hôte se relève alors, prend position devant la feuille blanche, semble se concentrer sur la tâche à effectuer. Subitement, il avance le pied gauche, fléchit le genou droit jusque par terre, saisit l’un de ses pinceaux et le trempe dans l’encre de chine. Le pinceau de la taille d’un gros pinceau rond de peintre en bâtiment, tout ébouriffé, prend une forme pointue, tandis que l’encre dégouline quelques instants au-dessus de l’encrier. Puis, en quelques gestes amples, rythmés, rapides et décidés, alors qu’il est à cheval au-dessus de la feuille de papier, l’hôte dessine ou plutôt écrit un signe japonais qui s’inscrit en noir au fur et à mesure des caresses, des effleurements et des écrasements du pinceau sur la feuille.
Ergaël regarde, fasciné, la danse diabolique de l’encre sur le papier.
Le pinceau est à nouveau dans l’encrier. L’hôte s’est relevé et semble méditer devant son oeuvre fugitive, ce mouvement bref et intense qui, en une chorégraphie surprenante, solitaire, silencieuse, a fait naître le signe, ce caractère surgi de nulle part et qui semble se consumer sans fin.
- Le feu, traduit Eitarô, à la suite des paroles du maître.
Petites flammes tremblotantes d’un feu d’automne, mars 2016.
Jicook et Jokico
Ici c'est un désert, un désert de pierres. Les glaciers interdisent l'accès aux Montagnes un peu plus à l'Ouest. Je dis l'Ouest en souvenir de la Terre, parce qu'ici, dans ce Jardin de pierres, il n'y a ni Soleil ni Lune. Juste une sorte de lumière violette qui diffuse ses particules d'amnésie cotonneuse depuis ce que j'ai nommé le Sud. En souvenir. Mais quand je dis souvenir, vous allez rire : je ne me rappelle plus rien. Plus rien de ma vie de tous les jours. Et là encore, je dis jour sombre comme je dirais nuit claire ou espace temps coloré, car ici, comme vous le voyez peut-être sur cette photo, il n'y a ni jour ni nuit.
Jicook et Jokico, février 2013 / février 2016.
Parole et musique
Après avoir rencontré Djembé le maître des rythmes et Iran le Flacon des poissons notes, longtemps Dossi Mifala le joueur de saxo ténor expira en demi-soupirs de mélancolie. Et puis, un soir vint où, se disant qu'il allait changer sa vie de misère, abandonnant pour un temps son domisol fixe, il partit sur la Mer des silences et des bruits, à la recherche d'un maître de la monodie modale. Attiré par une musique de saxo ténor justement, et par une lumière étrange dans la nuit blanche, il parvint aux abords d'une île où, lui semblait-il, un livre lui parlait.
Parole et musique, novembre 2015.
Caramel et Chocolat
Texte à lire. A écouter en cliquant sur les images, texte en français ou en anglais, musique.
Hé ! les oies, voulez-vous être mes amies ? Hey you... geese, do you want to be my friends ?
Ga ga ga. Tu ne peux pas être ami avec nous, tu ne sais pas nager, tu ne sais pas cacarder. Honk, honk, honk. You can’t be friend with us; you can’t swim and you can’t honk like us either.
Caramel et Chocolat, livre pour enfants, novembre 2015.
Un autre livre
Un garçon, lui. Une fille, elle. Et, elle parle. Un long monologue. Ils sont au bar. Avant, elle écoute cette musique de rock, dans cette salle de concert bruyante et enfumée... it's funny, how things go. Puis, elle se laisse bercer au rythme électrique de From her !... to !... eter...ni...ty. Elle est seule. Avec d'autres personnes. Maintenant, il a mis sa tête contre la sienne, elle lui dit : Il n'y a pas de plus grande histoire que la nôtre, celle de l'homme et de la femme.
Derrière la vitre du rapide, les rocs d'ébénite bleus défilaient dans un lointain orange et mauve. En cette saison, les radiations teintaient le paysage de reflets rubis. La mort lente est la saison que Joz préfère, avec ses flashs éclats bleutés. Une sorte de fin de cycle : l'Argusie prend un autre souffle; une arythmie, comme un soupir.
Un autre livre, mars 2014 / juin 2015.
Jardin d'enfance
Gardiens du jardin d'enfance, nous sommes. Ipodanlo à l'Ouest, je suis le monstre de la Paresse. Prune, stop ! Mon garçon, au train où tu vas, ça finira mal : crise financière et cardiaque, apoplexie neuronale dégénérative, syndrome du trou d'énergie négative, chômage technique par accumulation de stress post-traumatique, dans le meilleur des cas. Prune, il faut te ressaisir et prendre la vie du bon côté.
Jardin d'enfance, février 2013 / juin 2015.
De l'autre côté du monde
C'est drôle, comme ces éoliennes sur les collines de la vallée du Rhône peuvent servir à toute autre chose que ce que vous croyez. Je m'en suis aperçu le jour où, passant par le col de Tourniol près du Ventoux, je profitais de la tiédeur du soir, la fenêtre ouverte sur la musique des grillons et les senteurs de lavande, quand tout soudain je trébuchais là, me trouvant brutalement propulsé de l'autre côté, comme aspiré, puis volatilisé dans la campagne endormie : avant même d'avoir repris conscience, si je puis dire, une éolienne attira mon attention : elle brassait, brassait, brassait péniblement, laborieusement, obstinément, rêves et cauchemars dans l'air du soir, c'était impressionnant. La danseuse, quel autre nom donner à cette délicieuse hélice, à ce moulin à tourments ? la danseuse recyclait en broyant, noirs désirs, sombres pensées, humeurs mélancoliques. Evidemment, sous le charme indéfinissable de la danseuse, je m'endormis.
De l'autre côté du monde, mars 2013 / mai 2015.
Abracadir
Imer ferma les yeux pour voir ce que ça fait quand on est aveugle. Il ne voyait plus le plafond incliné, ni rien de la chambre. Pourtant, il distinguait un voile de lumière à travers ses paupières fermées.
- J'y vois, constata-t-il.
Il mit les mains sur ses yeux fermés. Noir. Alors, c'était complètement noir. Encore plus noir que la nuit précédente.
- Aaaaaah !
Imer bondit sur le lit.
- Qu'est-ce que c'est ?
Il avait bien senti que le fantôme l'avait touché sur le bras. Son bras gauche. Et, comme il avait appuyé sur ses yeux avec les mains, le temps que sa vue redevienne normale, le temps qu'il puisse voir dans la pénombre de la mansarde, il la vit ! Le fantôme était une fille. Une fille de son âge qui le regardait sans le voir. Il ou elle ? avait reculé jusqu'à la porte du fantôme, qui était entrouverte à présent.
Je rêve. Mais il ne dit rien. Elle non plus. Il savait qu'elle ne le voyait pas. Et il savait qu'elle entendait tout. Le moindre petit bruit de souris, le plus léger frottement d'une aile de papillon, le plus petit souffle. Tout indiquait dans son attitude qu'elle ne faisait que cela : écouter - entendre.
Abracadir, octobre 2013.