Villeneuve

Le lendemain matin, un peu après Prime, Odéric et Frère Bertrand étaient repartis pour l’Abbaye de Sénanque.

Bleu sombre dessus et blanc dessous, croupion blanc et queue courte, des hirondelles de fenêtre passèrent près des remparts. Leurs joyeux "tchirp !" et "tchirip !" résonnèrent le temps que le vol disparaisse dans le ciel clair.

À présent, Odéric et Frère Bertrand s’éloignaient de la ville par le sud et Kévin se demandait comment il allait pouvoir retrouver Audrey et revenir avec elle à la Maison Bleue. Le regard triste, plongé vers le sol, quelques pas devant son cheval, il ruminait en silence.

C’est alors, qu’une troupe se présenta au loin dans un bruit de sabots, débouchant à un angle des remparts. Frère Bertrand immobilisa son cheval et arrêta Odéric qui n’avait rien vu venir.

Surgit une troupe en armes qui s’arrêta à une vingtaine de pas, laissant passer un cavalier. Celui-ci s’arrêta et interpella Frère Bertrand :

- Messire moine, qui es-tu donc à voyager en seule compagnie d’un novice ?

- Je suis Frère Bertrand, apothicaire à l’abbaye de Sénanque et médecin, tout comme toi à ce qu’il me semble.

Le cavalier partit à rire et déclara :

- Bien observé, Frère Bertrand, je suis chirurgien et médecin du pape. Guy de Chauliac.

- Tous mes respects, Guy de Chauliac, me voici donc en l’honorable compagnie du plus illustre homme de médecine de ce temps.

- Oh là, n’exagérons rien. En cette époque de calamité, la peste se répand dans le monde sans que nul ne puisse l’arrêter. Allez, suis-moi jusqu’à Villeneuve où le pape m’invite pour une réunion secrète, afin de tenter tout ce qu’il est possible à un être humain de faire pour vaincre ce fléau.

Frère Bertrand n’eut pas le loisir de réfléchir à l’offre que Guy de Chauliac lui faisait, ni à regretter de ne pouvoir porter secours aux gens de son abbaye. La troupe s’était remise en route et le cheval de Frère Bertrand, ayant fait demi-tour, marchait à côté de celui de Guy de Chauliac, comme par magie. Suivait machinalement celui d’Odéric, lequel Odéric commençait à être habitué aux revirements de l’histoire et aux comportements surprenants de Frère Bertrand. Et Kévin, donc, se réjouissait de cette chance qui ouvrait de nouvelles possibilités. D’un seul coup, le vent soufflant du sud dans son dos, Odéric se mit à chanter une chanson joyeuse en pensant à Imelda. Et cette chanson ressemblait à l’une de celles qu’il avait entendues la veille avec Audrey : Quand je suis mis au retour de veoir ma Dame / Il n’est peine ni douleur que j’aie, par m’âme...

Ouh là là, Odéric Kévin et Imelda Audrey, quelle affaire compliquée que celle-là ! Mais c’est pourtant simple, non ? Seuls Kévin et Audrey connaissaient leurs vrais prénoms. Pour tous les autres êtres humains encore en vie, ils étaient Odéric et Imelda. Et Odéric et Imelda, eux, ils étaient tantôt Odéric et Imelda du temps des papes en Avignon, tantôt Kévin et Audrey quand ils se rappelaient leur vie d’avant, leur vraie vie. Cependant, comme l’avait fait remarquer Audrey, leur vie à Sénanque pour l’un et en Avignon pour les deux était aussi leur vraie vie. Mais ça, vous l’aviez compris depuis longtemps, n’est-ce pas ?

Avignon : le pont Saint Benezet

On cause, on cause et maintenant, après avoir longé les remparts d’Avignon, voici que la troupe franchissait le Pont d’Avignon en direction de Villeneuve, de l’autre côté du Rhône. Large de 4 mètres et long de près d’un kilomètre, le Pont Saint Bénezet comptait 22 arches et traçait une belle courbe au-dessus des bras du Rhône. Les charrettes ne pouvant pas se croiser, seuls les gens à pied ou à cheval pouvaient utiliser le pont pour traverser. Les marchandises étaient transportées en barques à rames d’une rive à l’autre.

Une fois arrivé à la tour, pour passer en France, en provenance de la cité État d’Avignon, domaine papal, il fallait payer des taxes. De même quand on passait de France en Avignon, on payait des taxes en arrivant.

Le Palais de Montaut