Une tisane magique

Quand ils arrivèrent en vue d’Avignon, il ne faisait pas encore jour et, bien sûr, les portes de la ville étaient fermées. Frère Bertrand proposa donc d’aller se reposer un moment. Il conduisit sa troupe devant une maison en dehors des remparts. Ayant réveillé son hôte, il s’excusa et lui demanda s’il pouvait leur faire chauffer de l’eau afin que les pauvres malheureux, qu’il emmenait en pèlerinage à Avignon, puissent se réchauffer un peu.

Quand l’eau fut prête, il y laissa tomber quelques herbes afin de préparer une infusion ravigotante, comme il l’expliqua à son hôte avec un grand sourire.

Puis il ressortit et servit sa tisane aux brigands en disant que les moines devaient attendre d’avoir dit les prières de Laudes pour se restaurer. Ainsi avaient-ils l’impérieuse obligation de respecter la Règle cistercienne.

Paysans faisant une pause repas

Paysans faisant une pause repas, par Barthélémy l’Anglais, 13e siècle

Ayant bu la tisane avec fortes approbations, les brigands se sentirent merveilleusement bien, au point de s’endormir comme des Bienheureux. Ils semblaient être au Paradis à chanter des hymnes, couchés sur un trésor fabuleux.

Frère Bertrand s’excusa une nouvelle fois pour ses mensonges, ce que son hôte comprit fort bien. Il expliqua que les soldats de la garde viendraient récupérer les brigands pour les mettre en prison.

- Mais… ils ne vont pas se réveiller ? s’inquiéta l’hôte.

- Aucun risque ! Même si les gardes traînent un peu, ce qui m’étonnerait : ils seront trop contents d’arrêter ces brigands qui sèment la terreur dans la région.

Remis de ses émotions et rassuré sur les intentions de Frère Bertrand, Odéric était très content et riait de belle humeur. Il pensa : après une nuit horrible, voici une merveilleuse journée qui commence de façon amusante.

Et il se mit à chantonner une vieille chanson du troubadour Peire Vidal :

Ab l’alen tir vas me l’aire
Qu’eu sen venir de Proensa
Tôt quant es de lai m’agensa...

Ce qui signifie en français moderne :

Avec mon haleine j’inspire l’air
que je sens venir de Provence
tout ce qui vient de là me plaît...

Quand il interrogea Frère Bertrand pour savoir quelle langue il avait parlée avec les brigands, en dehors du latin bien sûr, celui-ci expliqua que les brigands parlaient Franc-comtois. Il avait appris à parler cette langue lorsqu’il avait été novice dans l’abbaye cistercienne d’Acey à Vitreux, près de Besançon. Les brigands avaient probablement guerroyé pour les barons de Franche-Comté contre le duc de Bourgogne Eudes IV. Et chaque fois que la guerre s’interrompait, comme cette année, ils se retrouvaient sans emploi. Alors, ils continuaient à faire ce qu’ils savaient faire : tuer et piller.

- On a eu de la chance, alors, conclut Odéric.

- Beaucoup de chance, s’exclama Frère Bertrand en éclatant de rire.

Au palais des papes en Avignon