La recette de l’Antidotaire Mésué

Ils s’embrassèrent tendrement et Audrey déclara en français :

- Tu sais que nous pourrions être mariés ?

Kévin éclata de rire et répondit :

- Trop drôle.

- Si si, ici on se marie tôt. À partir de 15 ans, on peut se fiancer et c’est comme un mariage civil : un notaire établi un contrat et ensuite on fait la fête avec plein de confitures, de fruits et de gâteaux.

- Alors tu veux bien être mon épouse, Audrey ?

- Quoi ? Ça va pas la tête ?

Kévin et Audrey pouffèrent de rire. Et puis, ils furent pris d’un interminable fou rire, à en avoir les larmes aux yeux. Trop d’émotions accumulées se déversaient maintenant comme, hors de la casserole, le lait bouillant sur le feu.

Alors qu’ils étaient adolescents à notre époque (14 ans), Odéric et Imelda étaient de jeunes adultes (15 ans).

Quand ils se calmèrent, restant silencieux, ils entendirent les bruits lointains du Palais. Ils entendaient une musique assourdie. C’était une musique étrange.

Musique du 14e siècle : Aniksantar (Monodie sacrée bulgare)

Ils entendaient aussi des allées et venues de serviteurs dans les couloirs et au loin, les soldats dans les cours.

Constatant qu’ils n’étaient pas dans la Maison Bleue, Kévin finit par avouer son découragement :

- Pour repartir, il faut réciter la recette qu’on a lue dans l’Antidotaire Mésué. Mais Frère Bertrand m’a piqué le livre magique et l’a caché dans un tiroir de son herboristerie à l’abbaye de Sénanque.

- Aucun problème, on y va ! s’exclama Audrey.

- Ah oui, et comment ? se lamenta Kévin.

Audrey insista :

- Comment vous êtes venus jusqu’ici ?

- À cheval.

- Et bien voilà.

Kévin regarda Audrey d’un air perplexe et éclata de rire.

- Qu’est-ce que tu crois, j’ai fait de l’équitation, moi, dit-elle.

- Je sais, tu peux monter à cheval. Mais je ne connais pas l’itinéraire pour aller à Sénanque. Nous sommes venus par Carpentras.

- Ah ! Audrey réfléchit, puis elle ajouta : Facile, on demandera notre chemin.

- Bon d’accord. Mais la clef du tiroir se trouve dans la poche de Frère Bertrand.

Kévin et Audrey étaient anéantis.

Tic Tac

Musique : Tic tac 3

Au bout d’un moment Audrey chantonna : si tu en trouves

Comme elle ne continuait pas, Kévin chantonna sur le même ton :

Prends du gingembre
si tu en trouves

Mais lui aussi ne se rappela rien d’autre.

Puis Audrey chantonna :

du miel
du sucre

Elle regarda Kévin comme pour lui dire : ça ne te rappelle rien ?

Comme ça ne lui rappelait rien d’autre, il récita sans chantonner :

Prends du gingembre frais
si tu en trouves
du miel
du sucre

Ils attendirent un petit peu, mais rien ne se passa. Ils soupirèrent en chœur et de nouveau, ils furent pris d’un nouveau fou rire.

Audrey finit par déclarer :

- Il nous faut cette diablerie de livre, je te le dis !

Et hop, ils repartirent à rire comme des fous.

Et Kévin d’ajouter quand il put à nouveau parler distinctement :

- Sinon, on va cuire à petit feu en enfer.

Mais oui, c’est ça, Kévin, il faut cuire doucement.

- Quoi ?

Audrey se remit à chantonner :

Prends du gingembre frais
si tu en trouves
du miel
du sucre
et cuis doucement.

Mais là encore, il ne se produisit aucune diablerie, aucun tour de passe-passe, aucune magie. Les enfants regardèrent autour d’eux, inspectant la pièce à la lumière vacillante de la torche accrochée au mur. De toute évidence, ils étaient toujours en Avignon du temps des papes, l’année où la peste, venue de Marseille, s'était propagée en Provence, dans le Sud-ouest et vers le Nord, avant de remonter vers Paris. La peste avait envahi toute l’Europe en 5 années infernales et des millions de gens étaient morts.

Musique de l’Art nouveau